Wolframina A.L. Graffin von Schulenberg-Minutoli, Mes souvenirs d’Égypte, Nepveu, Paris 1826.
“Notre barque, passant très-vite en cet endroit, j’étais restée les yeux attachés sur ces rochers, plongée dans une de ces rêveries dont l’âme ne peut se rendre compte, lorsque le docteur Ricci, s’approchant de moi, me dit que cette chaîne de montagnes cachait à nos yeux un convent cophte, dont les moines descendaient ordinairement pour demander l’aumône aux voyageurs. C’est dans ce couvent, ajouta-t-il, que je fis une rencontre tout-à-fait intéressante la première fois que je visitai l’Égypte supérieure, et qui semble tenir du roman, mais qui cependant a eu réellement lieu. Ce peu de mots venait de piquer ma curiosité; aussi le priai-je de vouloir bien la satisfaire, ce qu’il fit, en me contant ce qui suit, à peu près en ces termes: «Désirant visiter l’Égypte supérieure, j’acceptai, il y a quelques années, la proposition que me fit un Anglais de l’y accompagner. J’avais été frappé comme vous de la forme singulière de ces rochers, lorsque mon attention fut attirée par un spectacle nouveau. Je vis, à leur sommet, paraître un homme, qui en descendit à l’aide d’une corde, avec une addresse inconcevable; bientôt, cet homme disparut, puis se jetant à la nage, il vint joindre nostre barque, et demander l’aumône pour son convent. C’était un de ces moines cophtes, qui veneait, à son ordinaire, implorer la bienfaisance des passans. L’extrême agilité avec laquelle cet homme venait d’exécuter cette descente, et quelques questions que nous lui adressâmes au sujet de son couvent, ayant éveillé nostre curiosité, nous fîmes approcher le Maach du rivage, et, suivant notre conducteur qui avait enfilé la même petit sentier escarpé et taillé dans le roc par lequel il était descendu, nous parvînmes, non sans beaucoup de peine, sur la hauteur d’où nos yeux découvrirent un immense horizon. A nos pieds le Nil, foramnt en cet endroit plusieurs petites côtesverdoyantes, parcourait au loin les plaines fertiles de la province de Minieh. De nombreux villages avec leurs bois de palmiers; des troupeaux de buffles et de chèvres répandus dans la campagne, la riche végétation de ce pays, offraient le tableau le plus riant et le plus varié. Mais quel contraste en tournant nos regards vers l’endroit que nous venions d’atteindre! Dea blocs de pierre détachés et jetés çà et là sur un désert de sable, dont nos yeux ne pouvaient embrasser l’étendue, présentaient l’image du chaos; la main laborieuse de l’homme n’vait jamais essayé de changer ce sol inculte en terre productive, et y aurait sans doute perdu ses peines. Nous aperçumes alors une chétive habitation que le moine nous indiqua comme sa demeure; un petit cimetière entourait la maison; et ce couvent, qui n’avait de commun avec la plupart des autres monastères, que sa position élevée, ne nous parut guère fait pour inspirer le goût de la retraite. Ayant satisfait notre curiosité, nous allions quitter cet endroit si peu agréable, lorsque nous entendîmes tout-à-coup quelques paroles harmonieuses de la belle langue de Pétrarque et du Tasse. Nous tournant de ce coté, nous vîmes un veillard dont la taille imposant et majestueuse n’avait pu être courbée par l’âge, et qui, se présentant à nous comme le prieur du couvent, nous invita, dans les termes le plus choisis, à venir prendre quelques instans de repos. Extrêmement surpris de rencontrer sous la tunique grossière d’un moine cophte un homme familier avec les langues et les usages d’Europe, nous acceptâmes son invitation, et nous plaçant sur un banc de pierre, notre hôte et trois autres religieux, les seuls habitans du couvent, s’empressèrent de nous servire des dattes et quelques pains tout chauds, qu’ils venaient de cuire à terre entre duex pierres, à la manière du pays. Pendant ce temps, je jetai des regards curieux sur lêtre singulier et surprenant que nous avions recontré si inopinément dans ce lieu sauvage. Une longue barbe argentée retombait en boucles sur sa poitrine; ses yeaux avaient conservé tout le feu et la vivacité de la jeunesse; cependant son regard avait quelque chose de sombre et exprimait une profonde mélancolie; ses traits étaient réguliers et imposans, sa bouche paraissait ne pouvoir jamais sourire, ce qui détruisait le charme de cette belle physionomie, qu’on aurait pu comparer à un beau paysage du nord, privé par un ciel nébuleux des effets de lumière et des teintes brillantes du midi. Ne pouvant plus long-temps résister à l’intérêt, ou plutôt au sentiment de curiosité qui me dominait, je hasardai avec embarras quelques questions sur son état et sur les motifs qui avaient pu le porter à l’embrasser, ajoutant que certainement l’Égypte ne pouvait être sa patrie. Un nuage de mélancolie se répandit aussitôt sur son front, et sentant mon indiscrétion, je le priai de pardonner ma curiosité en faveur de l’intérêt qu’il m’inspirait. Il me répondit alors, sans doute pour me rassurer, que son sort n’avait rien de bien particulier et qui méritât d’inspirer de l’intérêt à qui que ce fût; qu’il était Romain de naissance, et qu’il avait été, comme cadet de famille, destiné par ses parens à l’état ecclésiastique, pour lequel il s’était senti une aversion décidée; que, fuyant le pouvoir paternel, il avait passé la plus grande partie de sa vie parmi les infidèles, dont il avait même embrassé la foi; que la mort d’un être adoré lui avait fait sentir l’énormité des ses fautes et de ses erreurs, et que, décisé à passer le reste de sa vie dans la pénitence, il avait choisi ce lieu sauvage et isolé pour y finir ses jours. C’est ainsi qu’il termina cette courte narration, et, tournant ses regards vers le cimitière, il ajouta: Port des malhereux, unique refuge contre les orages de la vie, que ne te présentes-tu à l’imagination des hommes, lorsqu’emportés par leurs passions tumultueuses et par leurs désirs effrénés, ils agissent comme si leur vie était sans terme et leurs douleurs sans fin, tandis que tout chose aboutit vers toi, et que le souvenir seul du bien que nous pouvons avoir fait dans ce monde, nous accompagne dans l’autre, et survit à notre trépas! Émus de ces paroles er de l’expression qui les accompagnait, nous prîmes congé de l’auguste veillard, qui nous donna en partant sa bénédiction. Neuf mois après, à mon retour de la Haute-Égypte, désirant encore une fois revoir le prieur cophte, je m’acheminai vers son couvent; en approchant, un des moines me reconnut, et me fir voir une fosse fraîchment recouverte. Il avait cessé de souffrir»”
(c) picture http://www.flickr.com/photos/pixinalasidra/2560334666/
Early Explorers in Egypt and Nubia
This blog is intended both as an instrument for researchers on early explorers in Egypt and Nubia, providing useful tools in the On-line Resources section (On-line books, Archives, Map Collections, Photo Collections, etc.), and as a place to publish original documentation and research on the subject (i.e. List of travellers, Accounts, Letters, etc.). Anyone who would like to contribute with suggestions or articles is warmly welcomed!
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Hi Daniele,
ReplyDeleteMy name is Ramez Boutros. I'm a lecturer of Coptic Studies at the University of Toronto, Canada. Twenty years ago I lived in Gabal al-Tayr for four months. I did my Ph.D. on that wonderful site. I published three articles about the sources related to the site. At that time, I lived in Egypt and was employed by the French Institute of Oriental Archaeology in Cairo.
Although I studied the accounts of many European travellers speaking about Dayr Gabal al-Tayr, yours is unknown to me. Thank you for posting it today.
Ramez
Hi Ramez,
ReplyDeleteI am glad that this post was useful for you. I have visited Gebel el-Tayr last year and found it amazingly beautiful. I did my PhD about Alessandro Ricci and was fortunate enough to find this account by Baroness von Minutoli, who is reporting a story told her by Dr Ricci. I have further information, not much indeed, about the Monastery in Ricci's own account. E-mail me and I will give it to you: salvoldi.daniele@gmail.com